Fiction : La jeune femme, le mort et les poux

Article : Fiction : La jeune femme, le mort et les poux
Crédit: Etty Fidele via Unsplash
8 mars 2022

Fiction : La jeune femme, le mort et les poux

Le jaune a l’odeur de la maison, une odeur de paix, de sécurité et de tranquillité. Le jaune a une senteur de douceur. Une fleur d’ylang-ylang que caresse le zéphyr…

Le jaune, c’est surtout ma mère et la paix de sa présence. Je la vois encore revenir du marché. Le jaune c’est le néré qu’elle cache dans son sac. Presque toujours. Elle fait semblant de ne pas aimer. Je sais qu’elle n’attend que ça ; que j’ouvre son sac, que je prenne le néré, que je le partage avec mon frère et que j’esquisse un sourire. C’était sa récompense. Je sais qu’elle aimait ça. A ses pieds, également du jaune. Le même modèle de chaussure qu’elle changeait année après année ; adaptée au travail disait-elle.

Le jaune ressemble à l’orange des lampadaires au loin sur les routes. Les soirs où on ne coupait pas le courant. Ils brillaient, quelques lueurs de leurs lumières venaient jusqu’à la maison.

Jeune femme
Jeune femme devant un mur jaune.

A chaque fois que je pense au désastre qui arrive à mes doigts et à mes pensées, je pense à ma mère. Lorsqu’elle revenait, qu’elle donnait des instructions aux servantes – en ce temps on en avait encore – je restais là. Assise ou debout, j’étais immobile et je la regardais. C’était de l’admiration. Je la trouvais si belle et vigoureuse. J’étais coite, mes mains n’arrivaient à rien faire,  mais j’étais plutôt heureuse.

Mon frère est un mort

Mon frère, lui, aimait se vêtir de terne. Mon frère était un enfant triste, puis, un homme triste et responsable. Mon frère est un mort. Aujourd’hui, un souvenir dans mon esprit. Sur leurs têtes, les morts n’ont jamais de poux. Mon frère n’en a aucun. Passons.

Mes doigts tremblotent encore sur le papier. L’histoire, je l’ai dans la tête, je l’ai au bout des doigts. Moi, j’écris des histoires. Des histoires tristes. Comme ça, je mets toute ma tristesse sur un papier, dans un ordinateur. Il ne me reste alors que la joie. J’utilisais bien un stylo, un stylo noir, mais depuis, les stylos noirs me font pleurer. Je pleure puis mes doigts tremblent, et moi, je n’arrive pas à les calmer.

J’ai bien changé de stylo. Le nouveau est blanc, mais je n’arrive pas à l’utiliser pour écrire. C’est trop blanc. Je passe mon temps à penser au blanc et je n’écris pas. Quelqu’un d’effroyable a eu l’idée de mettre un stylo rouge entre mes mains. Le rouge, non, je n’aime pas.

Mes mains ont tremblé, j’ai eu le souffle coupé, j’ai eu peur.  Lorsque papa m’a pris dans ses bras et m’a assuré qu’il n’y avait plus de rouge, là, j’ai pu reprendre mon souffle. Trois, non, quatre semaines déjà que M. Kal attend des textes… Je ne sais plus écrire.

Ordinateur ouvert. Wamo
Ordinateur ouvert devant un utilisateur

Les soirs, mon père m’accompagne vers un monsieur qui semble gentil. Un monsieur calme. Ce monsieur est comme mon père. Il parle calmement, comme papa. Il est loin et il travaille, comme papa. Il sourit, tout comme papa. Mais il ne porte pas de chaussure jaune comme ma mère. Il est toujours en blanc. Une blouse et un sourire.

Le monsieur me dit que si mes mains tremblent autant, c’est peut-être à cause d’un évènement passé que je dois exhumer. Il dit que c’est à cause de cet évènement que seul papa m’accompagne et que je ne vois plus maman. Je ne la vois plus ni elle, ni le jaune de ses chaussures. C’est pour ça qu’elle ne m’achète plus de néré. Papa m’en a acheté la dernière fois, mais ça n’a pas le même goût…

Au monsieur en blanc, j’ai raconté le passé. Il sait maintenant que le jaune, c’est la paix. Il sait que maman donnait des ordres aux servantes et que moi, je la regardais en admiration. Il sait que moi, je ne laisserais personne faire du mal à ma mère. Lorsque papa a été accusé de malversation, lorsqu’on nous a pris la maison, je suis devenue « les servantes ».

Je regardais maman donner des ordres, puis, je bougeais pour les exécuter. Je comprenais papa qui luttait pour prouver son innocence. Papa et maman criaient quelques fois, mais tout rentraient dans l’ordre. Enfin, presque tout.

Je ramassais, en balayant les matins, des restes de joints à la devanture de notre maison. J’aurais pu agir en ce moment, j’aurais pu faire quelque chose. Je savais que mon frère, dans son jean délavé et son t-shirt noir, y causait avec des « amis » dans le noir. Je n’ai rien dit. Ça m’attriste, mais passons.

Tout ça c’est du passé. Mon frère était un enfant triste, puis, un homme triste et responsable, enfin, selon ma mère. Mon frère est un mort. Aujourd’hui, un souvenir dans mon esprit. Les morts n’ont jamais de poux. Mon frère n’en a aucun.

Démence, défense…

Dans la chambre de mon mort, il y a encore en ce moment, un reste d’une affiche d’une université canadienne. Quelqu’un en a arraché la moitié. La personne devait être rouge de colère. Les attestations de mérite ont été enlevées du mur. Maman les a placées « en sureté », dans un tiroir de sa chambre.

Aujourd’hui, j’ai parlé longtemps avec l’homme en blanc. Lorsqu’on a fini, il discutait avec mon père. Il évoquait une plaidoirie. Ils disaient « démence », puis « défense », puis « choc post traumatique » et beaucoup d’autres mots gros comme ça.

Ils disaient que Ramatou, ma mère, ne leurs disait peut-être pas la vérité. Ils ont évoqué un taux d’alcool anormalement élevé dans le sang, un cri de ma mère, l’insécurité dans notre nouveau quartier. Mon frère qui se serait allié avec des criminels pour nous attaquer. Pour finir, ils ont dit que j’avais peut-être eu une raison logique d’assommer Kojo…

Ils disent des conneries. Mon frère, Kojo, était un homme responsable, celui dont on parle n’est pas mon frère. Je lui ai fracassé la tête, c’est vrai. J’ai ensuite cogné plusieurs fois sa tête avec un marteau. Je voulais être sûr qu’il ne ferait pas de mal à ma mère. J’ai repeint le mur de sang, c’est vrai. Mais ce rouge ne venait pas de mon frère.

Mon frère, lui, était toujours en noir. Mon frère était un enfant triste, puis, un homme triste et responsable. Mon frère est un mort. Aujourd’hui, un souvenir dans mon esprit. Les morts n’ont jamais de poux. Mon frère n’en a aucun…

Passons.

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Commentaires

Belizem
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Eh ben, un jour le monsieur en blanc déviendra le monsieur en gris. Et il aura peut être compris le monde. Celui des servantes. En jaune. En noir ou en rouge. Et ce jour là bah on ne sait pas encore

Omaw Buame
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Oui. On ne sait pas encore. Merci Belizem.

Juste Amos Wonunyui
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Le jaune, le noir, le rouge, le blanc, Des couleurs pour désigner les personnages. Un peu effrayant mais c'est vraiment de L'ART de L'écrivain, l'écrivain Wamo Nunyali.

Gildas
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Une histoire qui paraît triste et très parlant. C'est de L'ART. J'aime comment tu habilles tes mots, tes ressenties pour nous parler des faits de la vie. L' Écrivain Omaw

Omaw Buame
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Merci Gildas.