[Fiction] Les chiens ne mangent que des os
En fond, il y avait des chants de chrétiens. Ensuite, le muezzin psalmodiait l’appel à la prière. Les chants de grillons qui accompagnaient le voile obscur du soir venaient couvrir le tout. C’était la nuit.
La famille était à table. Il y avait à manger : du riz au gras et du poulet. La femme, assise à l’extrémité de la table, était une vision de grâce et de sérénité. Elle avait de longs cheveux noirs qui encadraient un visage doux, éclairé par des yeux profonds et presque chaleureux. Sa robe avait des couleurs vives.
À l’opposé de la table, l’opposé de la femme. Un homme aux allures frustrées. Son visage était buriné par le temps et les coins de ses yeux étaient méchamment plissés. Il portait une chemise de prix froissée et son regard était troublé.
À côté de la femme se trouvaient deux enfants ; un garçon aux yeux curieux et aux cheveux en bataille, et une petite fille assise à côté de lui le visage innocent.
Elanya, l’employée de maison, servait le dîner. Dans la cuisine qui donnait sur la cour, le chien venait de temps en temps. C’est là qu’Elanya attendait lorsque la famille mangeait. Dans son attente, la jeune fille conversait avec sa pauvreté et l’aboiement du chien.
« Wouf wouf ! — Oui, je sais. Tout ira bien, demain. Demain, ce sera différent. »
Bientôt la famille finissait son temps de dîner. La jeune fille allait débarrasser la table, personne ne la regardait dans les yeux. Sauf le garçon. L’adolescent se sentait redevable envers elle. Il avait fait une bêtise et elle n’a rien dit à ses parents. Une liasse de billets disparu, une grosse fête et une voiture en location à réparer ensuite… Ce n’était pas ses affaires de toutes façon.
Elanya était de retour à la cuisine. Le chien balançait sa queue avec expectation. Les consignes étaient claires ; le reste de la nourriture étaient à verser dans la gamelle du chien.
Les rares grains de riz et l’essentiel des os, Elanya les versait dans la gamelle du chien qui n’attendait que ça. La jeune fille se releva pour laver les assiettes. Debout depuis l’aube, rien n’avait encore franchi le seuil de ses lèvres.
En lavant la vaisselle, elle pensait à d’autres lieux, se soûlant d’espérances ; où l’herbe est-elle verte ? Elle voulait, une fois de plus, demander son salaire qui tardait toujours à arriver depuis deux mois déjà.
Dehors, la famille digérait le riz et son gras. Dans la cuisine, pour le chien, il n’y avait que des os à manger.
Les travailleurs domestiques (souvent des travailleuses) subissent aujourd’hui encore de mauvaises conditions de travail. En 2016, l’OIT estimait à 90% ceux d’entre eux exclus de la protection sociale.
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