Héritage ignoré : l’apport des missionnaires africains à la connaissance

Article : Héritage ignoré : l’apport des missionnaires africains à la connaissance
Crédit: Omaw Buame - Généré via Midjourney
23 mai 2023

Héritage ignoré : l’apport des missionnaires africains à la connaissance

L’histoire des missions en Afrique a suscité de nombreuses discussions et débats. Leur introduction de l’éducation occidentale, de la christianisation, ainsi que les conséquences sur les cultures endogènes et la « standardisation » des langues africaines ont été largement étudiées. Ce que je me propose de discuter ici, c’est l’apport des missionnaires africains eux-mêmes à la connaissance en Afrique.

Religieux africains - Image d'illustration.
Religieux africains – Image d’illustration. Crédit : Omaw Buame via MidJourney

Les missionnaires africains et l’histoire


La préservation de l’histoire des peuples englobe non seulement la conservation de leur culture, de leurs traditions, de leurs coutumes, de leurs arts et de leurs métiers, mais également la documentation de ces éléments essentiels. Parmi les acteurs clés de cette préservation, les missionnaires ont joué un rôle important. Grâce à leurs efforts, ces missionnaires ont permis de préserver et de transmettre des connaissances précieuses.

Carl Christian Reindorf

Commençons en mettant en avant un historien. Carl Christian Reindorf (1834-1917) était un pasteur, érudit et historien de la Gold Coast (actuel Ghana).

Carl Christian Reindorf
Carl Christian Reindorf

Travaillant avec la Mission de Bâle sur la Gold Coast (Côte-de-l’Or), il est connu pour son livre intitulé The History of the Gold Coast and Asante (L’Histoire de la Gold Coast et de l’Asante). Ce livre, initialement rédigé en ga, a acquis une importance culturelle considérable et est devenu une source essentielle pour l’histoire du Ghana.

Reindorf a utilisé des sources écrites et la tradition orale. Il a interrogé plus de 200 personnes pour recueillir les informations nécessaires à son livre. Son travail a documenté et préservé l’histoire de la Gold Coast et de l’Asante. En tant que linguiste, Reindorf s’est intéressé à la préservation et à l’étude des langues locales, notamment le ga et le fante.



Reindorf était bien conscient de l’importance de l’histoire et des expressions culturelles, et avec son Histoire, il a apporté une contribution très précoce et donc pionnière à la conservation, à la préservation et à la diffusion du patrimoine de la Gold Coast, sachant qu’il fait ou faisait partie de l’identité culturelle de la population.

Heinz Hauser-Renner, “Tradition Meets Modernity: C. C. Reindorf and His ‘History of the Gold Coast and Asante’: A Late 19th Century Voice from Urban Accra, » cité par Toyin Falola, Traduction mienne.

Samuel Johnson

Continuons avec le travail de Samuel Johnson sur l’origine et l’histoire, la culture, la politique et les aspects socio-religieux du peuple Yoruba.

Samuel Johnson
Samuel Johnson

Samuel Johnson était un prêtre anglican et historien des Yorubas. Il est né à Freetown, Sierra Leone, le 24 juin 1846. Son père était un prince de l’empire Oyo. Il a été capturé dans le commerce des esclaves avant d’être libéré sur la côte de Sierra Leone. Johnson a étudié à l’Institut de formation de la Church Missionary Society (CMS) et a enseigné pendant la guerre civile yoruba. En 1886, avec Charles Phillips, il a obtenu un cessez-le-feu et un traité d’indépendance pour les villes d’Ekiti.

En 1897, Johnson a terminé un livre sur l’histoire des Yorubas. Malheureusement, ses éditeurs britanniques l’ont égaré. Après sa mort, son frère Obadiah Johnson a réécrit et compilé le livre en utilisant les notes du révérend. En 1921, il a été publié sous le titre « A History of the Yorubas from the Earliest Times to the Beginning of the British Protectorate« . Ce livre est souvent comparé à « The Decline and Fall of the Roman Empire » d’Edward Gibbon.

Des missionnaires africains et des langues : Ajayi Crowther & Akrofi Clement Anderson

Les missionnaires africains ont joué un rôle essentiel dans la promotion et la préservation des langues africaines. Par exemple, Samuel Ajayi Crowther, un écrivain et linguiste prolifique, a publié des ouvrages en yoruba et en igbo, ainsi que la version yoruba du Livre de prières anglican. Il a également créé un vocabulaire yoruba et a expliqué la structure grammaticale de la langue.

Samuel Ajayi Crowther
Samuel Ajayi Crowther, 1888

Vocabulary of the Yoruba Language (Une Vocabulaire de la Langue Yoruba), qui comprend une explication de la structure grammaticale, est peut-être le premier livre de ce type écrit par un locuteur naturel d’une langue africaine.

De même, Akrofi Clement Anderson, un linguiste ghanéen, a indigénisé l’enseignement des valeurs chrétiennes en traduisant la Bible en twi. Ses publications comprennent une grammaire twi, un recueil de proverbes twi et un dictionnaire anglais-twi-ga. Ces missionnaires africains ont ainsi contribué à préserver et à promouvoir les langues africaines.

Contribution à la musique : Amu Ephraim

Amu Ephraim Kwaku était un prédicateur, enseignant et ethnomusicologue ghanéen. Il est considéré comme le père de la musique artistique ghanéenne. Il a introduit l’harmonie occidentale dans les rythmes africains. Ses compositions novatrices démontraient sa maîtrise de cette fusion.

Amu Ephraim sur un billet de banque ghanéen
Amu Ephraim sur un billet de banque ghanéen

Il a également joué un rôle clé dans la promotion de la culture ghanéenne, des chants et des instruments de musique. Il visait à préserver et célébrer le patrimoine musical du Ghana. Son influence a jeté les bases du développement de la musique artistique ghanéenne.

Grâce à ses efforts, Amu a laissé une empreinte durable sur la scène musicale du Ghana. Sa fusion unique d’harmonie occidentale et de rythmes africains a ouvert de nouvelles possibilités artistiques et renforcé la préservation culturelle. Il est une figure respectée dans l’histoire musicale du Ghana.

Lire aussi : D’où viennent les hommes, où vont les morts : des conceptions traditionnelles chez les Éwé


Production de connaissance sur la cosmologie africaine

Jonathan Olumide Lucas, né en 1897, était un égyptologue de renom et un intellectuel au sein du clergé anglican de son époque. Il fut le premier Nigérian d’origine yoruba à écrire sur la religion du peuple yoruba. Arrêtons-nous un instant pour examiner son parcours.

Jonathan était connu pour son travail sur l’histoire de la religion traditionnelle yoruba. Le travail de Lucas sur la culture et la langue yoruba établit des liens entre certains mots et choix de mots utilisés par les Yorubas et l’Égypte ancienne. Il a affirmé que la religion yoruba trouvait son origine dans l’ancienne Égypte, qu’il considérait comme le centre de la civilisation mondiale après des investigations et explorations rigoureuses.

Lucas a été éduqué au Fourah Bay College, à l’Université de Durham. Ceci en tant qu’étudiant externe à l’Université de Londres.

L’avènement des « théologies africaines »

Le christianisme est originairement du Moyen-Orient. L’Europe l’a intégré à ses propres cultures. En Afrique, des penseurs ont également cherché à interpréter cette foi selon une perspective africaine.

Les théologies africaines se distinguent des théologies occidentales par leur ancrage dans le contexte africain. Elles relèvent des défis spécifiques rencontrés par les communautés africaines. Elles cherchent à incarner le message évangélique dans les réalités africaines, en intégrant les valeurs culturelles et les pratiques traditionnelles.

Le Christ, notre ancêtre !

Christ ancêtre.
Image d’illustration | Omaw Buame, généré via MidJourney

Cependant, la pensée la plus notable des théologies africaines est sans doute celle du Christ comme ancêtre.

John Pobee, un Ghanéen protestant, fut l’un des premiers défenseurs de la christologie des ancêtres. En 1979, il écrivit :

« Notre approche consisterait à considérer Jésus comme le Grand et le Plus Grand Ancêtre – en langue akan, Nana. Avec cela, il détient le pouvoir et l’autorité de juger les actions des hommes, récompensant les bons et punissant les mauvais. » Pourtant, « il est supérieur aux autres ancêtres en raison de sa proximité avec Dieu et en tant que Dieu lui-même. »

Toward an African Theology, Nashville: Abingdon, 1979, p. 94., traduction mienne.

Néanmoins, c’est Charles Nyamiti qui s’est étendu sur le sujet en publiant Christ as our ancestors qui n’a pas tardé pas à recevoir des oppositions de la part de plusieurs autres théologiens.

En conclusion…

Il est essentiel de reconnaître l’apport significatif des missionnaires africains à la connaissance en Afrique. Leur engagement et leur travail ont contribué à enrichir la compréhension de l’histoire, de la culture et de la spiritualité en Afrique. Les missionnaires africains ont laissé un héritage souvent négligé mais important. Il est donc crucial de reconnaître leurs contributions.

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