Entre culture et servitude : les Trokosi ou les Fiashidi au Togo, au Ghana et au Bénin

Article : Entre culture et servitude : les Trokosi ou les Fiashidi au Togo, au Ghana et au Bénin
Crédit: Emerson via Iwaria
12 octobre 2022

Entre culture et servitude : les Trokosi ou les Fiashidi au Togo, au Ghana et au Bénin

Je pense les cultures du monde comme… des cultures. C’est-à-dire des idées semées dans le sol des peuples. Elles doivent germer, grandir puis mûrir. Elles sont quelques fois des ivraies. Des insectes attaquent souvent leurs intégrités. Elles pourrissent certaines fois, avec le temps. Pour moi, la présence des Trokosi ou des Fiashidi, au Togo, au Ghana et au Bénin, fait partie de ces catégories. Elle doit donc être arrachée du sol de nos cultures.

Qui sont les Trokosi ou les Fiashidi ?

Plusieurs médias se sont intéressés au sort des jeunes filles Trokosi. Plusieurs noms ont été accolés au phénomène : le système Trokosi, l’esclavage Trokosi, les esclaves Trokosi du Ghana, les Fiashidi…

Danse et tenues traditionnelles
Des célébrants en tenues traditionnelles en train de danser Agbadza. Crédit : CC.

Que veut dire « Trokosi » et « Fiashidi » ?

Les termes Fiashidi et Trokosi sont utilisés de manière interchangeable. Néanmoins, dans leurs compositions et origines ils sont bien différents.

Fiashidi (ou Fiasidi) se composent des syllabes « Fia », « asi » et « di ». Elles signifient respectivement « roi », « femme » et « épouser ». Fiasidi signifierait donc celle qui est digne d’épouser un roi.

L’autre terme, « Trokosi » est composé de deux mots syllabiques en éwé : « tro » (qui signifie : un dieu) et « kosi » (esclave). Trokosi signifie donc « esclave de dieu ».

Il existe plusieurs concepts entourant les termes Trokosi et Fiashidi. Par exemple, une femme stérile fait un vœu auprès d’une divinité pour avoir un enfant. L’enfant qui naît, est une « trokosi » si c’est une fille. Ici, néanmoins, le système Trokosi est une institution où des filles vierges sont données pour le pardon des péchés.

En bref…

Ce qu’on appelle le système Trokosi est donc une institution de répression des crimes jugés répréhensibles par les dieux. Dans un esprit communautaire, tout membre de la communauté (famille élargie) du coupable peut être puni. De jeunes filles sont livrées pour le pardon des crimes des membres de leurs familles. Les crimes punis de cette manière peuvent être :

  • Le meurtre
  • L’adultère
  • Des vols graves
  • Insultes à un chef
  • Trahison
  • Utilisation de magie noire
  • Des relations sexuelles avec une Trokosi
  • … 

Les jeunes filles restent au service de la divinité quelques années ou leurs vies entières. Pour les crimes comme le meurtre, la famille doit envoyer, génération après génération, des personnes auprès de la divinité. Certains crimes sont d’ailleurs si lointains que personne ne s’en rappelle.

En cas de refus, la famille devra subir des catastrophes, des morts à répétition… Le choix des filles : elles seraient plus malléables et moins enclines à la révolte.

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Les Origines du système Trokosi

Il s’agit d’un système très ancien dont les origines sont floues. Il y a beaucoup de versions sur l’origine du système Trokosi.

Fiashidi ou Trokosi - Illustration
Vodounsi, Image d’illustration. CC : Emerson via Iwaria

Pour plusieurs des adhérents, il est d’origine divine même. Les adorateurs du Dieu Nyigbla pratiquant ce système pensent qu’il est d’origine divine. Un certain Togbui Yevugah, prêtre Nyigbla à Afife (Ghana), est interrogé à 73 ans par l’équipe du Dr. Victor Gedzi de l’Université KNUST. Le système Trokosi aurait été établi par Dieu pour maintenir la moralité collective. Le Dieu Nyigbla autour duquel évolue le système Trokosi serait un représentant de Dieu. Togbui Yevugah fait un parallèle dans la Bible pour prouver son point. Il évoque Psaumes 82 :1-6 …

Plusieurs personnes-ressources estiment que le système est né au 17e siècle. Il serait originaire de régions de l’actuel Togo et Bénin et aurait par contact été déplacé vers les régions de l’actuel Ghana. Certains disent que c’était une institution érigée pour éduquer les femmes en de futures mères. Pour d’autres, ça découle d’une pratique de guerre qui a subi diverses transformations au cours du temps.

Vie de Trokosi

Bien souvent, elles ne sont pas au courant de l’acte pour lequel elles sont présentes. Les trokosi sont soumises à des travaux et des corvées. Elles apprennent également des habiletés comme le tissage de sac ou la préparation d’huile. Pas d’école. Certaines deviennent des « femmes » des prêtres.

Vous n’êtes pas un esclave à proprement parler, mais vous êtes asservi. L’asservissement peut prendre plusieurs formes. Un esclave est enchaîné, mais les filles sont autorisées à se déplacer et à aller au marché. Ce ne sont que des restrictions et même quand elles ne sont pas enchaînées, c’est la peur qui s’y rattache. C’est un esclavage mental, un asservissement mental. Une fois que vous n’êtes pas libéré dans votre esprit, vous ne pouvez pas penser à faire quelque chose dans une circonstance anormale. Vous ne pouvez pas penser à vous enfuir car vous savez quel sera le résultat. Il s’agit d’un asservissement mental et non physique.

Une trokosi d’Adidome citée par Ohrt Malacci dans “Conflicting Discourses on Trokosi Practice in Ghana: Exploring Tensions in the Global/Local Human Rights Translation.”, traduction mienne

Ce que je pense…

Je crois en la responsabilité personnelle. Un système qui punirait systématiquement une faute sur autrui sans porte de sortie est pour moi profondément injuste et vicié.

Je tire peut-être sur une ambulance. Je l’espère (je n’ai pas pu trouver de chiffres récents, je ne sais donc pas le nombre de trokosi qui existent encore aujourd’hui).

L’argument majeur des défenseurs de ce système est celui de la culture. Il est pour moi absurde d’inscrire les cultures dans quelque sorte de perpétuelle fixité. Outre le système Trokosi, il existe en Afrique et dans le monde, des éléments de culture qui sont moins choquants, plus subtiles. Leurs résultats restent cependant dommageables pour la société.

Les cultures meuvent. C’est bien. Laissons les mouvoir, dirigeons leurs mouvements vers ce que nous voulons. Changeons si nous le devons.

C’est vivre. C’est bien.


Source essentielle : Gedzi, Victor & Dumbe, Yunus & Eshun, Gabriel. (2016). Field Of Power: A Religio-Cultural Analysis Of Trokosi In Ghana. Volume 2016.

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