Chère Aurore, l’autre ne t’aura pas (Fiction)

Article : Chère Aurore, l’autre ne t’aura pas (Fiction)
Crédit: Photo de One zone Studio via Unsplash
3 septembre 2022

Chère Aurore, l’autre ne t’aura pas (Fiction)

Il pleut des cordes dehors, Aurore. Les lumières ont fini par se lasser de donner de la couleur à tes yeux. Le bleu, immense océan dans tes pupilles, contraste avec le noir de ta peau ; joyeuse ébène.

Jeune mariée
Jeune mariée, Photo de One zone Studio via Unsplash

Je me souviens encore, c’était hier. Mes mains ont traversé tes cheveux, libre dans le vent. Jeune explorateur, j’ai caressé toute la surface de ta peau. D’abord, les parties que tous peuvent voir. Les doigts de tes mains ont épousé les creux de ma main. J’ai caressé ta jambe poilue. Je me suis frotté contre tes épaules nues.

On s’appartenait…

Plus tard, je me suis aventuré vers des recoins plus interdits. En explorateur consciencieux, je n’ai laissé aucune partie de ton corps m’être inconnue. Je te savais. Tu me savais. On s’appartenait. On s’appartenait…

Mais pas ce soir. Ce soir, je ne vois plus de lumière dans tes yeux. Ce soir, tu veux appartenir à un autre. Briser les vœux que tu as dit d’un air joyeux. Briser mon cœur qui t’a pleinement aimé. Un torrent de larme est en embuscade en dessous de mes paupières. La lumière l’a vu, elle a eu honte et s’en est allée.

Qu’attends-tu que je te dise ?

Quatre heures déjà qu’il n’y a plus d’électricité. Aurore, il pleut des cordes dehors. Même le ciel me comprend. Même le ciel pleure avec moi. Te voilà, assise avec moi dans le noir. Rien ne couvre ton corps, rien ne couvre nos corps. Qu’attends-tu que je te dise ? Je sens tes poils se frotter contre moi. Ils hérissent les miens, tout comme au premier jour. Je ressens la chaleur de ta peau. Elle n’est rien face à la douleur que tu mets dans mon cœur.

Des années à me perdre gaiement en toi. Aujourd’hui, je me suis égaré et affaibli sous le ciel omniscient et déjà attristé. Je me suis affaibli en toi sous un ciel pluvieux. Ensuite tu m’as fait asseoir et tu m’as tout dit.

Tu as dit que j’avais de la chance de t’avoir, toi, noire aux yeux bleus. Tu as dit que ma chance ne devait pas être éternelle. Tu m’as reproché l’enfant que nous n’avons toujours pas. Malgré les affluents que j’ai semés en toi. Tu m’as dit que l’autre était plus beau que moi. Tu m’as dit, à moi qui pense tout le temps à toi, qui sème de l’espérance en notre avenir, qui voit dormir le chien et assiste au chant du coq, à moi qui par deux fois t’a évité la mort… Tu m’as dit que je ne te regardais plus, ne t’aimais plus. Tu dis que tes lèvres me seront désormais étrangères.

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Tu dis appartenir à l’autre…

Aurore, tu sais faire tomber la nuit sur toute une vie. Tes lèvres le savent. Elles ont dit que tout ton cœur et ton âme, aujourd’hui, appartiennent à l’autre.

Te voilà, assise avec moi dans le noir. Rien ne couvre ton corps, rien ne couvre nos corps. Qu’attends-tu que je te dise. Je resterai silencieux. Mes pensées quant à elles, bouillonnent.

Aurore, la fourchette aux bouts limés m’est convenable tout d’un coup. J’aime tout d’un coup la lame qui a failli m’ouvrir la veine. J’aime tout d’un coup son tranchant. J’aime la forêt humide et son sol riche en termite. Là, des corps deviennent terres. Aurore, j’imagine des têtes qui roulent sur des pentes lointaines. Là-bas. J’aime tout d’un coup notre police et ses piètres expertises. Notre Etat qui s’arrête à l’entrée de la capitale. J’aime tout d’un coup ce noir et le silence qui s’est abattu sur la capitale. Je me réjouis enfin de connaître l’autre, de lui avoir fait confiance, et de connaître où il habite.

Aurore, j’ai envie de te le dire. Je t’aime, mais l’autre ne t’aura pas.

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