La corde à tout faire (Seconde partie)
Suite de La corde à tout faire (Partie 1)
A la corde, mon frère sautait, sautait, sautait. Il sautait à s’oublier. Les soirs, les matins, tout le temps. Quand il ne sautait pas, il sortait de la maison. Les nuits, il s’endormait.
Et un jour comme les autres, où mon frère ne sautait ni ne dormait, mon père a montré son amour à ma mère. A sa manière, encore, encore et encore. J’attendais que ça finisse. Les pleurs, les cris intermittents, le bruit de la table qui s’affaisse en se cassant… J’attendais le silence.
Tout s’est finalement tu. Le calme s’est installé, les voisins aussi… en retard. Maman est restée au sol.
Ses yeux, presqu’encore ouverts, semblent vouloir se fermer. Le sang coule de sa tête, passe par les orbites de ses yeux à moitiés ouverts. Le rouge colore le sol en suivant la pente. Mon père lui, sort parler aux voisins. J’étais debout, derrière la porte. Je pleurais.
La « communauté » a très vite pardonné « l’accident ». Personne ne nous a rien dit. Ni à mon frère, ni à moi. Personne ne nous a rien demandé. Mais un soir de la semaine suivante, un soir pas comme les autres, où mon frère était là sans sauter et sans dormir, on se regardait sans rien dire. Papa a ouvert la porte et il a dit : « Voilà, votre mère est partie, elle ne reviendra plus. » Il est resté silencieux un moment à nous regarder, comme s’il cherchait une autre phrase. Il est parti sans la trouver. C’était tout.
Mon frère m’a dit : « J’ai peur de mes mains, ils ne m’obéiront pas toujours. » Le jour suivant, il a disparu de la maison. J’ai alors moi aussi, commencé le saut à la corde.
Quelques mois passent. Toutes les nuits, mon père rentre très tard. Accompagné. Les soirs où il rentre seul, sans accompagnatrice, sa mauvaise humeur ne le lâche pas. Et moi, je m’efface.
Depuis la semaine surpassée, je vais sur la dalle sauter à l’aube. Après, en regardant le ciel et en m’étirant, je respire mieux. En rentrant me coucher, je l’entends dans les toilettes pleurer en disant le nom de ma mère : « Sika, Sika, Sika… »
Hier nuit, j’ai laissé la corde traîner au salon. Il est revenu non accompagné. Une, deux baffes, tout est devenu sombre tout d’un coup. Je suis allé me coucher.
Je ne sais plus si c’était à l’aube ou si le soleil m’avait précédé. Mes souvenirs me mentent quelques fois. Réveillée, mes pas m’ont mené derrière la maison. Le regard de mon père, puits sans fond, vide, était fixé sur moi…
Autour de son cou, attaché à l’arbre. La corde bleue, vieille enlaidi par la mort qu’elle a invitée. Je n’ai pas bougé, je n’ai pas pleuré. J’ai tremblé, longtemps.
Sur la table, sa dernière phrase : « Je vous ai tous aimé. »
Création réalisée dans le cadre du Prix des Jeunes Écritures RFI-AUF 2020, organisé par Short Édition
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